Bienvenue dans cet espace, où je partage mes connaissances, telles qu'elles viennent au gré de mes découvertes.

Ce seront principalement des questions touchant sur le Japon qui seront probablement traitées, bien que je ne puisse savoir, dans le futur, ce qu'il en sera vraiment.

2 janvier 2011

Gewalts, situations de guerre civile, guérilla urbaine et opposition politique au Japon (I)

L'image du Japon aujourd'hui est celle d'un pays très calme aux mouvements sociaux de faible ampleur, voire même inexistants. Il est vrai que voir une manifestation au Japon, notamment à Tokyo, est une expérience presque irréelle pour nous. En traînant à Shibuya vous avez des chances d'en voir peut être une sur quelques mois. Les manifestants sont toujours bien rangés sur trois à quatre colonnes, et brandissent des pancartes en criant, mais pas trop fort. Des policiers encadrent en général la manifestation, mais je soupçonne qu'il sont plutôt là pour la sécurité des personnes défilant dans le cortège que pour encadrer la manifestation au cas où quelque chose dérape. Les manifestants s'arrêtent même sagement aux feux, la circulation n'est jamais réellement gênée. La chose la plus violent qu'on puisse voir, ou plutôt écouter, est sûrement la diatribe continuelle des partis d'extrême-droite devant la gare de Shibuya (reconnaissables à leurs vans noirs). Il faut dire que la vie politique japonaise n'a rien de très passionnant. Deux partis se battent plus ou moins pour le pouvoir, sachant que l'un des deux partis a été réélu quasiment tous les ans. Jusqu'à 2009, le Parti libéral-démocratique avait gouverné quasiment sans interruptions depuis 1955. Les premiers ministres ont cependant une étrange tendance à ne jamais finir leurs mandats, et les membres du gouvernement à se suicider après qu'un scandale les concernant ait été découvert (si je ne m'abuse le dernier en date était le ministre de l'Agriculture de l'époque, qui s'était suicidé en 2008 en se pendant avec la laisse de son chien).

Il n'en a cependant pas toujours été de même, et dire que les années après la Seconde Guerre Mondiale n'ont pas été de tout repos est un bien faible mot.

Rappelez vous vos cours d'histoire : en 1945, le Japon, au bord de la défaite, est victime de deux bombes atomiques lancées par les États-Unis, permettant à la coalition Alliée de mettre enfin un terme à la guerre. Les Américains forcent l'Empereur Hirohito à reconnaître publiquement qu'il n'est pas de descendance divine, et imposent une Constitution au Japon (contenant le fameux article 9 déclarant que le Japon travaille pour la paix et ne dispose pas d'une armée propre). Le Japon est occupé de manière effective pendant sept ans, et lorsqu'il retrouve plus ou moins (mais plutôt moins que plus) sa souveraineté, l'Asie est devenue une zone dangereuse pour « la Liberté ». Est signé, en 1951, le Traité de sécurité mutuelle entre les États-Unis et le Japon. A l'extérieur, la guerre de Corée fait rage, et le Japon est une zone importante militairement parlant. Ce traité prévoit le maintien des troupes (environ 350000 soldats) et des bases américaines sur le sol japonais. Au plus fort de la guerre de Corée, en 1954, l'article 9 de la Constitution est «réinterprété», permettant la création des Forces d'autodéfense (SDF), dont le pouvoir ne cessera d'augmenter pendant ces périodes de trouble, avant de redevenir un corps para-militaire de faible ampleur. En 1959 éclate la guerre du Vietnam, et en conséquence le traité de sécurité est renégocié au début de l'année 1960. Cette renégociation prévoit notamment le maintien des bases et des effectifs militaires américains sous contrôle du Parlement japonais, l'augmentation de la force armée japonaise, et pose un certain nombre de bases pour la coopération politique et économique entre les deux pays.

Et c'est ici que commencent quelques 25 ans de gewalt, de guérilla urbaine et de d'actes de terrorisme fortement colorés politiquement.


Gewalt : définition

Le terme gewalt (ゲバルト, gebaruto), qui provient directement de l'allemand, signifie à l'origine violence. Il a cependant été utilisé au Japon pour décrire les violences étudiantes à l'égard des forces de police. Le terme est utilisé uniquement lorsque la manifestation tourne à la guerre civile. Historiquement parlant, le terme a commencé à être utilisé à la fin des années 60, pour désigner les bâtons utilisés par les différentes factions de gauche et d'extrême gauche lors des manifestations (les ゲバルトぼう, gebaruto-bou). Les factions ayant les moyens ont pu aussi distribuer à leurs membres les fameux tuyaux à coude en métal ou des battes cloutées. En plus du bâton, les attributs typiques des étudiants se trouvant impliqués dans ces factions étaient un casque de sécurité (aux couleurs et au nom de la faction) et un masque (souvent un bout de tissu) permettant de se protéger des gaz lacrymogènes.

Différents types de casques. Le casque entièrement noir
sur la ligne du haut est celui de la faction anarchiste.
Les deux casques de la ligne du bas les plus à gauche sont
ceux des factions Kakumaru et Chuukaku dont nous reparlerons

"Uniforme" typique d'une faction étudiante, avec le bâton,
 le casque de sécurité, et le masque (ici la faction Kakumaru)

En plus de ces violences contre la police, la situation était envenimée par le gewalt interne (内ゲバ,  uchi geba), les violences entre les différentes factions, et notamment les factions Kakumaru [gauche trotskiste] et Chuukaku [extrême gauche] (dans les années 70 ces violences devinrent de véritables assassinat, et le gewalt interne tourna à la guerre ouverte). Ces violences internes ont fait plus d'une centaine de morts, qui n'étaient pas toujours engagés dans une faction (les «dégâts collatéraux», 誤爆, gobaku), et les blessés sont estimés à plusieurs milliers. A partir des années 90, les factions sont devenus de réels groupes terroristes utilisant des couteaux et des engins explosifs pour mener à bien les assassinats.

1960, manifestations contre le nouveau traité de sécurité, manifestations anti-impérialistes, gewalt de Todai

Tout a commencé avec ce fameux Traité de sécurité mutuel. Les partis de gauche s'y opposent, les étudiants manifestent. En 1959 est élu le nouveau chef du parti social-démocrate, Asanuma Inejiro.

Il décidera de boycotter le vote du nouveau traité, et celui-ci sera effectivement fait, le 19 janvier 1960, avec la moitié de l'hémicycle vide, mais aussi l'entrée à la Diète rendue difficile par un sitting des députés de gauche.
Le nouveau traité n'entrera cependant en application qu'en juin. Les représentants américains venus au Japon à cette occasion seront bloqués à l'aéroport par plus de 3000 manifestants, syndicalistes et étudiants, pendant plus d'une heure, avant de pouvoir s'échapper par hélicoptère. Le 15 juin, les manifestations commencent à tourner à la violence sous l'impulsion de l'internationale étudiante. Un étudiant sera tué dans la manifestation, et les blessés, que ce soit parmi les manifestants ou les forces de police, seront plus de 400. Le 19 juin à minuit, le traité est naturellement ratifié.

Le mouvement serpentin que font les manifestants est appelé zigzag.

Bien que ça n'ait pas vraiment de lien avec les gewalts, sachez que le chef du parti socialiste, Asanuma Inejiro, a été assassiné par un jeune membre d'un parti d'extrême-droite en octobre 1960, en direct, alors qu'il donnait un discours pendant sa campagne électorale.

1 commentaire:

  1. Je suis loin d'être un expert au niveau du japonais mais je pense que la première photo de cet article montre des membres de Ligue des étudiants marxistes “Noyau Central” (Kakumaru Zengakuren) s'affronter avec des Marxistes Révolutionnaires (Marugakudo Chukaku-ha).

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